Notre-Dame, le chantier (1955-1958)

 

le plan

Le chantier
Le chantier de l’église 
Notre-Dame de Royan. 
Photo J-P Dumont (Coll. Gillet)
 

Guillaume Gillet renonce au plan en croix latine au profit de la mandorle, figure géométrique issue du croisement de deux segments de cercle, proche de la forme d’une amande ou mandorla en latin. L’architecte innove, mais il adopte cependant une figure traditionnelle de l’iconographie chrétienne. La mandorle symbolise l’union de la terre et du ciel, le point où deux mondes distincts se rencontrent et en même temps se croisent. Elle représente le tout parfait, symbole de la Naissance. Traditionnellement associée au Christ et à Marie, elle convient à la renaissance de l’église Notre-Dame détruite.

 
 

L’ancienne église de style néo-gothique, construite en 1877, se trouvait enserrée entre des ruelles au fond de la dépression du fond de Cherves, près du débouché du boulevard Aristide Briand. La mandorle s’inscrit plus haut sur les flancs de la colline de Foncillon, dans un vaste espace triangulaire issu du remembrement. Cette nouvelle place se situe à l’intersection des rues de Foncillon et du Château d’eau dans l’axe du nouveau tracé de la rue Notre-Dame. Le terrain ainsi ménagé est en pente, le point le plus bas étant situé à l’est vers le centre ville. Orienter l’église impose à G. Gillet de résoudre un double paradoxe, celui de rompre l’unité de la forme parfaite qu’il a adoptée, et celui de placer le choeur, et non l’entrée vers le bas de la place face à son accès privilégié.

 

L’architecte tire parti de ces contraintes qu’il transforme en qualité architecturales et urbaines. Il accuse l’orientation en coiffant le choeur d’un clocher qui culmine à près de soixante mètres, alors que traditionnellement le clocher marque l’entrée du sanctuaire. Répondant ainsi au souhait du maire Max Brusset, il redresse la silhouette de la ville par ce signal vertical fort, cet amer visible depuis l’océan comme depuis l’entrée de la ville.

 
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Le chantier de l’église 
Notre-Dame de Royan.
Photo J-P Dumont (Coll. Gillet)
 
 

Contre le chevet, il conçoit un autel extérieur et aménage la place pour des offices en plein air à la belle saison, livrant ainsi une version balnéaire de l’église reconstruite. Le paroissien ou le visiteur montant depuis le centre ville découvre l’église par cette impressionnante façade septentrionale, mais il doit poursuivre son ascension le long de la façade nord pour découvrir l’entrée au point haut de la place. Le porche franchi, celui-ci découvre depuis une galerie haute la nef et le choeur situés en contre-bas. La monumentalité de l’édifice se révèle progressivement en descendant l’escalier, imposant recueillement et respect à celui qui pénètre dans le vaisseau.
Loin de nier la déclivité du terrain et son insertion urbaine contraire à l’orientation de l’église, Guillaume Gillet a su magnifier ces contraintes et réussir une prise de site exceptionnelle.

 
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Le chantier de l’église 
Notre-Dame de Royan.
Photo J-P Dumont (Coll. Gillet)
 

L’architecte de Notre-Dame a été formé aux principes du rationalisme architectural français issu des travaux et des écrits des grands architectes du XIXème siècle que sont Henri Labrouste, Eugène Viollet-le-Duc, Anatole de Baudot ou Julien Guadet. Le rationalisme exige le respect de trois lois fondamentales : utilité, économie et vérité. La loi d’utilité commande au rejet de tout décor ou tout au moins à sa subordination à l’architecture.

 
 
Le chantier de Notre-Dame de Royan
Le chantier de l’église Notre-Dame de Royan. Photo J-P Dumont (Coll. Gillet)
 

102 millions de francs

Guillaume Gillet dispose d'une créance de dommage de guerre de 102 millions de francs, aménagement compris, calculée sur la base de l’église néo-gothique détruite, beaucoup plus petite que le projet étudié. Guillaume Gillet qualifie ces contraintes de « tour d'acrobatie ». Le premier projet de septembre 1954 consiste en une mandorle de 50m de long sur 30m de large, ceinte de 28 V Laffaille, couverte d’un voile en forme de selle de cheval qui atteint 50m dans sa partie haute. Le clocher prend la forme d’un V monumental culminant à 88m. Mais de septembre 1954 à mars-avril 1957, les proportions de l’église seront régulièrement revues à la baisse pour entrer dans l’enveloppe budgétaire fixée. Le premier appel d'offre, lancé aux entreprises en décembre 1954, propose comme base de réflexions deux solutions, dites basse et haute. D'une variante à l'autre, l'ouvrage en béton armé, présente l'aspect d'un cylindre à section ovale dont les axes intérieurs ont en plan respectivement 20m et 40m. Seules les hauteurs de la nef et du clochers distinguent les deux options, passant respectivement de 37 à 50m et de 60 à 87m. Lors de ce premier appel d'offre, Guillaume Gillet et ses ingénieurs laissent toute liberté aux entreprises d'étudier différents types de couverture : voile en béton armé, voile en métal, ou coque comprimée en bois. Les trois entreprises moins disantes sont retenues pour un second tour, mais aucune n'aboutit à un prix inférieur à 100 millions pour le seul gros oeuvre. De plus, deux sur trois ne proposent qu'une couverture en bois. Guillaume Gillet se plaint de la faiblesse du budget et de la précipitation avec laquelle les appels d'offres sont lancés. Les délais imposés par la municipalité n'autorisent pas les architectes, les ingénieurs et les entreprises à pousser les études dans leurs moindres détails. La solution du voile de béton est retenue et le chantier ouvre en juin 1955 alors que les dimensions définitives de l’église ne sont pas arrêtées. Elle ne le seront qu’en mars avril 1957, soit deux ans après l’ouverture des travaux ! C’est la solution basse qui est retenue : l’ossature est composée de 24 V d’une épaisseur de 10 à 12 centimètres, et culminent à 36mètres maximum, le clocher étant réduit à 56m.

 

La loi d’économie conduit à répondre de manière optimale aux contraintes posées, en particulier dans le domaine constructif. La loi de vérité guide les architectes vers l’expression franche des matériaux et de la structure telle qu’elle résulte de la loi d’économie. Ces principes guideront le travail de Guillaume Gillet.

 


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Entre temps Bernard Laffaille est décédé le 24 juin 1955. René Sarger (1917-88) qui avait suivi toutes les études avec lui prend sa succession aux côtés de Guillaume Gillet. C’est lui qui mettra au point la principale modification du projet après le décès de Bernard Laffaille, à savoir l’ajout de bas-côtés obliques qui ceinturent l’édifice aux pieds des V porteurs. Dans le plan initial les V étaient directement fichés en terre. Un déambulatoire périphérique situé de plain-pied avec la nef supportant une galerie basse assurait la stabilité de l’ensemble.
Comme l’écrit Nicolas Nogue, biographe de B.Laffaille et spécialiste des relations architecte-ingénieurs après la seconde guerre mondiale, l’angle des ailes des poteaux en forme de V « est augmenté et leur stabilité renforcée par un contrefort oblique en portique, formant couverture de la galerie basse qui conçue dès lors comme une mezzanine en porte-à-faux, surplombe le déambulatoire »
René Sarger développe et met en oeuvre l’audacieuse voûte en selle de cheval voulue par Guillaume Gillet selon les modèles imaginés par Bernard Laffaille dès 1954-1955. La voûte en selle de cheval est suspendue ponctuellement aux deux rives paraboliques par ses seules armatures métalliques. Guillaume Gillet et René Sarger peuvent ainsi envisager de laisser l’espace libre entre le sommet de la nef et la couverture et de l’affirmer par un trait de lumière. La voûte en selle de cheval aurait sembler « flotter » au dessus de la nef, apportant ainsi une touche supplémentaire de mystère à cet espace majestueux. Mais cet élégant effet d’allègement que Le Corbusier réussit à réaliser à la chapelle Notre-Dame-du-Haut de Ronchamp (1950-1955) dans un projet techniquement plus simple, Guillaume Gillet dut y renoncer pour des raisons de coût et d’étanchéité.

 


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un signal vertical fort

L’église est consacrée le 10 juillet 1958, mais le tour d’acrobatie dénoncé par Guillaume Gillet révèle rapidement ses limites. L’enveloppe budgétaire n’aura permis de réaliser essentiellement que le gros oeuvre. La décoration, les vitraux, les orgues, mais également une part de l’étanchéité et du dispositif de descente des eaux n’ont pas été réalisés faute de crédits. Ils ne le seront que petit à petit au cours des décennies suivantes. Aussi, moins de quatre années plus tard, de graves problèmes d'étanchéité affectent l’oeuvre de Guillaume Gillet. Les jours de pluie, l'eau pénètre abondamment dans l'église par la couronne de l'acrotère sur le pourtour de la toiture, par les parties extérieures de la couverture de la galerie haute et par les triangles des contreforts. Les parois en béton, elles-mêmes, se révèlent perméables. Plusieurs campagnes de travaux seront nécessaires pour assurer à cette oeuvre exceptionnelle une pérennité que les conditions difficiles de la reconstruction ne lui avaient pas garantie.

 


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Royan dispose de ce signal vertical fort que souhaitaient Max Brusset, à tel point qu’aujourd’hui la ville s’identifie à la silhouette élancée de Notre-Dame, en témoigne la signalétique adoptée sur l’autoroute A10 pour la sortie de la station balnéaire. Notre-Dame de Royan s’est imposée comme une oeuvre majeure de la reconstruction et du renouveau de l’Art Sacré des années cinquante qui précèdent la tenue du concile de Vatican II (1962-1965). Elle témoigne également pleinement de cette école rationaliste française qui veut que la forme architecturale découle logiquement des principes constructifs adoptés. Mais ses formes inédites, ses courbes et le mouvement qui s’en dégage renouvelle cette tradition autorisant à juste titre Nicolas Nogue à évoquer à son propos la notion paradoxale « de rationalisme lyrique ».
L’église Notre-Dame est encore l’oeuvre qui consacre une école d’ingénieurs français de tout premier plan à l’échelle internationale. Mais, cette première oeuvre majeure de Guillaume Gillet fut aussi un coup de maître qui lança la carrière de l’architecte. La réception de cette icône de la modernité dépasse largement les frontières de l’hexagone. Dès 1959 le prestigieux Musée d’Art Moderne de New-York (le MOMA) présentait ce projet aux côtés d’oeuvres de tout premier plan comme l’Opéra de Sydney de Jorn Utzon. A la reconnaissance des critiques de l’époque s’est substitué aujourd’hui celle des historiens et du public. Ce symbole de la résurrection d’une ville sinistrée, classé monument historique le 10 février 1987, appartient désormais à notre héritage commun.

 


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Texte de Gilles Ragot, Professeur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et du Paysage de Bordeaux.

 
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Le chantier de l’église Notre-Dame de Royan. Photo J-P Dumont (Coll. Gillet)
 
 
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